Nomad production

La Routo,
un projet qui
ouvre la voie

Ils façonnent le territoire méditerranéen et tracent un sentier de grande randonnée sur les anciens chemins de la transhumance. C’est pour partager leurs savoir-faire et leurs produits que les éleveurs de Provence et d’Italie se mobilisent depuis 15 ans autour de La Routo.

par léa samson--jousseaume - 15/04/2022

La Routo,
un projet qui
ouvre la voie

Ils façonnent le territoire méditerranéen et tracent un sentier de grande randonnée sur les anciens chemins de la transhumance. C’est pour partager leurs savoir-faire et leurs produits que les éleveurs de Provence et d’Italie se mobilisent depuis 15 ans autour de La Routo.

par léa samson--jousseaume - 15/04/2022

“Cette année, ils n’ont pas donné le prix de la laine”. La tonte a eu lieu il y a deux semaines. Comme les années précédentes, Lionel Escoffier vendra 5 ou 6 tonnes de laine de mérinos d’Arles. Depuis les années 50, elles ne sont plus leur principale source de revenus. Dans la bergerie du mas de la Tapie, les brebis se suivent entre les barrières étroites. “L’étoile rouge, ça veut dire “à vendre”. Désolé les filles”. Elles partiront chez un éleveur avec qui travaille la famille Escoffier depuis plusieurs années et seront vendues pour leur viande.

Pour Lionel, rejoindre La Routo, c’était un moyen de valoriser leur travail. Le métier de berger a changé depuis son arrière-grand-père et il a fallu évoluer. “Si on m’obligeait à faire la transhumance à pied, j’arrêterais” annonce-t-il en souriant. C’est pourtant

540 km à pied

L’image d’Épinal du berger et de la brindille coincée entre ses lèvres n’est plus d’actualité, si elle ne l’a jamais été. La transhumance existe toujours, mais ces pratiques ont changé. C’est ce que la Maison de la Transhumance tente de partager avec le projet La Routo. “On cherchait un moyen de se rapprocher de nos partenaires italiens, l’écomusée della Pastorozia” annonce Patrick Fabre, directeur de la maison de la Transhumance. Tous deux ont l’ambition de partager leurs connaissances sur la transhumance, son histoire et sa pratique. Cette envie, elle date des années 2000. C’est 8 ans plus tard, lors d’une rencontre franco-italienne, que naît l’idée de relier les deux partenaires par un chemin de randonnée suivant les pas des bergers transhumants.

“C’est un peu moi qui ai poussé pour que ce soit un sentier de grande randonnée”, depuis quelque temps, cette appellation a le vent en poupe. Les deux traits rouge et blanc rappellent aux français l’histoire de voies ancestrales. “J’ai pensé que ce serait plus “prestigieux” de faire partie de la famille des GR, enfin, sans me douter de la complexité de la chose”. C’est en 2020 que le tracé du GR 69 de 540 km a été homologué.

“On a hâte que le GR en tant que tel soit derrière nous” se confie le directeur de la maison de la transhumance. Pour eux, la randonnée est un outil. Un outil certes, mais dans l’air du temps. En 2021, selon une étude de l’union des sports et cycle, 27 millions de personnes majeures pratiquent la randonnée. Plus d’un Français sur deux. De quoi toucher un public qui partage les mêmes valeurs puisque selon cette même étude, 87% des Français estiment que cette pratique doit intégrer la protection de la biodiversité par le biais de sensibilisations et d’aménagement des sentiers.

L’Europe s’engage

“On a mis un peu la charrue avant les boeufs et on a travaillé à une manière d’associer le milieu agricole au projet sans qu’on ait vraiment l’itinéraire. On s’est un peu adapté aux politiques financières qui s’offraient à nous, et parfois, les gens de la randonnée ne comprenaient pas comment on fonctionnait.” De 2011 à 2013, un programme Européen finance véritablement le projet. “L’enveloppe était plutôt sur des questions agricoles” admet Patrick. “Du côté italien, c’est un petit peu différent puisque le partenaire est un équivalent de la Communauté de Communes à l’échelle de la vallée qui fait en gros 120 km. Et là, c’est plutôt la collectivité qui porte La Routo.”
 

Au cours des années, de nouveaux partenaires ont rejoint l’aventure: l’Europe, la Région PACA, les départements et les Parcs naturels régionaux se mobilisent pour implanter La Routo dans leurs territoires. Les financements européens sont le carburant du projet aujourd’hui. Ils permettent de mettre en place les actions nécessaires au développement du projet.

“Un LEADER fonctionne de deux manières : soit on dépose un dossier tout seul et on se débrouille avec, soit on crée un LEADER coopération. Donc là, c’est plusieurs structures qui sont sous l’égide d’une tête de file. Ici, la tête de file c’est la Maison de la transhumance. Et chaque territoire dit “OK, je m’associe dans ce projet, moi aussi je mets des billes sur un LEADER, je veux participer” et chacun a des actions définies qu’il doit mener. Selon les moyens qu’on a à mettre dedans.”, explique Orlane Fougeroux, chargée de mission LEADER La Routo au Parc naturel régional des Alpilles (PNRA).
 

“ Maintenant moi j'y vois clair sur La Routo, ce qui n'a pas toujours été le cas. Là, on est en place, les pièces du puzzle s'agglomèrent au fur et à mesure, mais il y a effectivement 14 ou 15 années derrière nous avant d'y arriver.”

Patrick Fabre
brebis mérinos d'Arles
Au Mas de la Tapie, les brebis sont séparées pour préparer les ventes.

“Le but, c’est qu’il y ait une retombée positive pour les éleveurs”

La Routo, c’est aussi une marque. Une gamme de vêtements conçus en laine mérinos d’Arles. “Ça permet aux éleveurs de se regrouper et de mieux vendre”. Plus que le prix, ce qui a décidé les éleveurs, c’est de valoriser leur laine. Il y a peu de chances de revoir un jour l’économie que son grand-père a connue avant l’ouverture des marchés mondiaux, mais aujourd’hui, les éleveurs sont impliqués. Ils ne sont pas seulement vendeurs de matières premières, mais producteurs d’une laine de qualité. “C’est le top du top de la laine. Potentiellement la plus fine d’Europe” relaie Orlane Fougeroux, “c’est quand même bête de faire de l’isolation avec de la laine de Mérinos”.
 
Le Mérinos d’Arles, c’est une race dont les origines remontent à l’époque de notre bon roi Louis XVI. Les éleveurs de Provence ont croisé le bélier Mérinos Espagnol aux brebis rustique du pays. La sélection comme réponse aux besoins et contraintes. Une race locale, la Cravenne, suffisamment rustique pour résister au climat de la Crau et le mérinos d’Espagne, pour une laine de qualité.
 

Pour réussir à monter son économie, il faut construire son réseau. “La coopérative, c’est très bien” affirme Mr Escoffier. Pour lui, être dans le collectif permet de construire une économie pérenne.

La tendance est au “made in France”

Si vous voyez sur un produit le drapeau bleu, blanc, rouge, alors le prix n’est plus un argument. Bien que discutable, cette stratégie marketing du Made in France semble évoluer vers une consommation plus raisonnée. Tandis que les labellisations perdent leur sens, les consommateurs surveillent l’origine des produits.
 
Soutenir l’économie locale plutôt que nationale quand c’est nécessaire. Pour comprendre, il faut prendre en compte les ressources naturelles d’un territoire. Quand les marchés se sont ouverts, les industries du territoire ont fermé leurs portes. Orlane nous explique, “Il y a une fabrique installée en Ardèche qui travaille la laine des agriculteurs du département, mais c’est plus artisanal, plus local, c’est pas vraiment pour faire du vêtement technique.” Pour se faire laver, la laine de Provence part donc vers l’Italie. “Là-bas, ils ont gardé leurs structures et puis, ce n’est pas plus loin que si on envoyait les toisons à l’autre bout de la France.”, poursuit Lionel.
 

Pas de slogan sexy et tape à l’oeil mais une véritable qualité protégée par la marque La Routo. Depuis 2012, l’association La Routo réunit un réseau transfrontalier d’acteurs tout au long du GR. “On voudrait garder une certaine éthique au projet, notamment le respect des éleveurs et des bergers. On n’acceptera pas de travailler avec n’importe qui et n’importe comment sous prétexte de faire du buzz ou pour des financements.”

alpilles drone

Paysages de la seconde étape du GR69 :

le passage entre les Caisses de Jean Jean et le pas du Loup révèle les cultures d’oliviers et de vignes coincés entre les strates de roches sédimentaires des Alpilles.

Paysages de la seconde étape du GR69 :

le passage entre les Caisses de Jean Jean et le pas du Loup révèle les cultures d’oliviers et de vignes coincés entre les strates de roches sédimentaires des Alpilles.

La stratégie du pâturage

“Moi, je suis arrivé il y a trois ans sur l’écriture du schéma d’interprétation des patrimoines, donc je me suis forcément intéressée au pastoralisme. On m’a parlé de La Routo direct, et moi j’adore le principe. J’aime la randonnée, j’aime les moutons, c’est un truc qui me parle.” Au PNRA, le projet est très structurant pour sensibiliser au territoire.
 

“Il y a une pinède et si la pinède ne brûle pas et qu’on la laisse évoluer toute seule, au bout de 60-70 ans, c’est des chênes qui la remplacent. C’est vraiment le cycle de la forêt méditerranéenne et le pastoralisme a bloqué le rythme naturel à son premier stade qui est celui des prairies et des garrigues.” L’élevage extensif a donc façonné les territoires et certaines personnes sont capables de lire son histoire en observant les traces du pastoralisme.

“Si on veut gérer un milieu, il faut connaître son histoire” explique Thierry Dutoit. Un mouton, ça sélectionne sa nourriture. Mieux vaut donc bien réfléchir à sa stratégie de pâturage. “En fonction du nombre de passages des troupeaux, du temps qu’il reste sur place et du nombre de fois dans l’année où ils viennent et bien tu n’as pas les mêmes plantes qui vont réussir à pousser et qui vont se développer.”

Sur la plaine de la petite Crau, un troupeau se cantonne à quelques parcelles qui montrent des signes de surpâturage. “Le problème ici, c’est que l’éleveur veut éviter les randonneurs et leurs chiens.” Pour éviter les conflits, l’éleveur favorise un lieu plus calme, quitte à surpâturer. Entre en jeu alors la gestion commune des espaces. Établir un dialogue constructif avec les acteurs du territoire : Parcs naturels régionaux, Parcs nationaux, Région, éleveurs, ONF et j’en passe, la liste est longue.

Loup y es-tu ?

Tous les ans, au mois de juin, le troupeau part en estive. “Les camions arrivent et elles vont être serrées comme des anchois.”, s’amuse le père. En quelques heures, elles auront parcouru plus de deux cents kilomètres et débarqueront dans les Alpes. Le trajet du mas de la Tapie aux alpages de Colmars qui autrefois prenait près de 3 semaines a vu son organisation radicalement évoluer. Une véritable colonie de vacances pour les bêtes qui retrouveront les troupeaux du groupement pastoral. Au total, ce seront 3 bergers et 2 aides bergers qui auront la garde des alpages cette année.
 
En tant que gardiens du troupeau, ils espèrent éviter le loup. Le loup, tout le monde en parle. “Les gens viennent et nous demandent où on peut voir le loup.” Mais on ne le voit pas le loup. On voit des traces de sa présence. On raconte des histoires de bergers. La cohabitation avec un prédateur a été oubliée mais la confiance se réinstalle. “Au début, il fallait prouver que c’était une attaque de loup. Amener les carcasses à expertiser, mais maintenant ils savent et ils sont plus tolérants.”
 

Un matin, il manquait 50 bêtes au troupeau. Seule une vingtaine ont été retrouvées en vie. Cette réalité, on la connaît mal. Alors, pour y remédier, La Routo met en place des animations pour partager ces histoires. Ouvrir le dialogue et permettre de comprendre les enjeux du métier de berger aujourd’hui. Dans des bergeries, lors des fêtes de la transhumance ou tout simplement sur le chemin de randonnée, vous pouvez croiser des personnes qui s’investissent autour de La Routo.

Un réseau investit auprès du grand public

“Hé ! mon âne ! Avec ces livres dans tes sacoches, repartons à la prochaine belle saison faire La Routo ou ses variantes et, en plein air, donnons-en lecture, partageons le récit de nos aventures et poursuivons l’échange, dans les villages, les écoles, les associations culturelles, les bergeries, les marchés, les campings, les familles, les alpages, les refuges.” tels sont les mots de Karin Huet. “C’est tout à fait dans mes idées de soutenir ce projet qui est de mettre en valeur le pastoralisme traditionnel centenaire, voire millénaire, un élevage qui est un bon élevage.”
 
C’est par hasard qu’elle a entendu parler du projet. L’itinéraire n’était pas tout à fait fini, mais l’envie de suivre les drailles et carraires de la transhumance était là. “Nous c’est un peu l’idée qu’on a assez de nourrir la Routo de toute part et là on est plutôt sur quelque chose de culturel” nous rappelle monsieur Fabre. “On essaie de lier à la fois l’économie, le patrimoine au sens large, les questions environnementales, on les traite surtout à travers les paysages traversés par La Routo.”
 

La Routo a également la responsabilité de sensibiliser les usagers aux bonnes pratiques à adopter face aux troupeaux et aux patous. “C’est pas parce que les prairies sont jolies et qu’il y a des fleurs partout que tu peux courir en plein milieu. Le but de La Routo c’est aussi d’avoir cette pédagogie.” Bien sûr, les choses ne sont pas aussi faciles à mettre en place qu’à écrire sur le papier mais des outils de communication se mettent en place.

Les problèmes, ce sont les hommes

Si l’on pouvait croire que l’évolution industrielle et l’urbanisation ont bloqué la pratique pastorale, “il est plus exact de penser que souvent, c’est un problème de personne et de communication” affirme le président de la Maison de la transhumance. Les institutions créées pour protéger le territoire et les pratiques sont parfois corrompues par des personnalités trop rigides qui rendent le discours impossible.
 
“Pour être le moins emmerdé, il faut faire évoluer les choses” assure Lionel. Dès son enfance, il sait qu’il va être éleveur. Comme son père et son grand-père avant lui. Il entame alors des études agricoles et intègre la chambre d’agriculture pour voir les choses de manière plus globale. Quand il est l’heure de reprendre l’exploitation, il faut repenser l’organisation. “L’important, c’est de se remettre en question”.
 

Près de la porte, sur un meuble, Lionel a placé une machine à café. “Ce n’est pas seulement parce qu’on aime le café. Ça engage la discussion et ça ouvre le dialogue.” Cette pause-café permet à l’équipe du mas de la Tapie d’échanger. On répartit les tâches selon les compétences de chacun. Dans les discussions, ça permet un échange constructif. “Ce n’est pas parce que ce sont mes bêtes que j’ai raison.” Respecter le savoir-faire de chacun et donner la parole à tous.

En reprenant la présidence de la Maison de la transhumance, “je ne voulais pas que ce soit un musée de la transhumance” appuie-t-il. Cet échange est là pour rapprocher les discours et la réalité qui, souvent, semblent contradictoires.
 

“Aujourd’hui on est dans la ligne droite, tout se met en place, mais on a suivi des petits chemins de traverse” conclut Patrick. Le GR ce n’est qu’un prétexte pour ouvrir le dialogue. Un outil pour fédérer les différents acteurs d’un même territoire, valoriser une économie et ses produits. Le balisage est terminé et le topo-guide sortira dans quelques semaines, vous permettant de partir sur les traces de la transhumance cet été.